Jeudi 1er février 2024, le ministre de l’Agriculture a annoncé la mise en pause du plan Écophyto II +, qui visait à « réduire les usages de produits phytopharmaceutiques de 50 % d’ici 2025 ». Cette décision visait à satisfaire les demandes d’une partie des agriculteurs qui en sont pourtant les principales victimes, ci-dessous notre dossier.

Les effets délétères de ces substances sur la santé, et en particulier celle des exploitants agricoles des pays occidentaux et de leurs familles, sont bien documentés. Plusieurs types de cancers sont notamment plus répandus dans les populations d’agriculteurs que dans la population générale, de même diverses maladies neurodégénératives et respiratoires.

Pesticides
Ce terme regroupe un ensemble de produits de synthèse ou naturels visant à lutter, en les détruisant, contre les organismes jugés nuisibles pour l’être humain ou ses activités, notamment en agriculture ou jardinage mais aussi le long des voies de chemin de fer ou pour l'entretien d'espaces (cimetières...).

Il peut s’agir de produits phytopharmaceutiques (les plus connus des pesticides), de biocides (utilisés dans les bâtiments d’élevage ou en salle de traite, pour traiter le bois afin de le protéger des insectes et des moisissures…), de médicaments vétérinaires (antiparasitaires externes ou antifongiques) et enfin de certains médicaments destinés à la santé humaine (anti-poux, anti-gale, anti-mycoses…).

Par nature ils ont une activité toxique vis-à-vis du vivant.

Des effets sur la santé connus
En France, dès les années 1880, certaines substances (arsenicaux, dérivés du cuivre et du soufre) ont été employées dans les régions où l’agriculture s’intensifiait, notamment en viticulture et en arboriculture. Déjà à cette époque, des médecins notèrent chez les travailleurs agricoles l’émergence de nouvelles maladies.

L’usage des pesticides prend véritablement son essor dans les années 50. Conséquence : dès les années 1950-1970, plusieurs constats préoccupants sont faits.

* Des intoxications aiguës se produisent, dans les vergers en Californie, chez les applicateurs d’organophosphorés, ainsi que chez d’autres travailleurs en contact avec les végétaux après les traitements. Le lait humain est lui aussi contaminé, notamment par certains insecticides de la famille des organochlorés (tels que le DDT ou le lindane).

* A partir de 1960, en France, des médecins du travail agricole se préoccupent des effets des pesticides sur la santé des travailleurs agricoles.

* Après plus de cinquante ans d’études épidémiologiques (1970-2020), il est reconnu que les populations agricoles des pays à forts revenus, dans lesquels la plupart des études ont été conduites, présentent des particularités en matière de risque de cancer.

Trois cancers clairement plus fréquents chez les agriculteurs

On observe un excès de certains cancers dans les populations agricoles, par rapport à la population générale :

  • Les cancers de la prostate (cancer masculin le plus fréquent en France, il touche chaque année près de 60 000 hommes, entraînant le décès de près de 9 000 d’entre eux) : augmentation de risque variant de 13 à 33 % mais de 30 à 56 % pour les insecticides organochlorés
  • des lymphomes non hodgkiniens: augmentation de risque variant de 30 à 70 %, chez les professionnels les plus exposés
  • et des myélomes multiples.

L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) concluait, en 2013, à une présomption forte d’un lien entre l’exposition professionnelle aux pesticides et la survenue de ces trois cancers. L'Inserm a confirmé son analyse en 2021. Ces trois cancers sont inscrits aux tableaux de maladies professionnelles en France.

D’autres cancers ont été moins étudiés, néanmoins leucémies, tumeurs du système nerveux central, sarcomes, cancers du rein et de la vessie, seraient aussi plus fréquents chez les utilisateurs professionnels de pesticides. Pour les cancers broncho-pulmonaires, des cancers digestifs (colorectaux, estomac, pancréas, foie, œsophage), des cancers gynécologiques (sein, ovaires, corps et col de l’utérus), des cancers ORL ou des lèvres et des cancers de la thyroïde on ne dispose pas de suffisamment d'études.

Plus de 1 000 molécules à activité pesticide ont été homologuées en Europe, et ont été présentes pour une utilisation agricole à un moment ou un autre. Aujourd'hui 400 d'entre elles sont toujours autorisées.

Les molécules retirées du marché peuvent avoir des effets retardés ou persister encore néanmoins dans l’environnement.

D’autres maladies que le cancer

Des données indiquent que l’exposition aux pesticides a pour conséquences d’autres effets sur la santé, notamment sur le cerveau. Le niveau de présomption du lien entre l’exposition aux pesticides et le développement d’une maladie de Parkinson est fort. Des études géographiques montrent une plus forte prévalence de la maladie dans certaines zones agricoles, et mettent en évidence un risque de maladie de Parkinson quasiment doublé chez les personnes ayant été exposées aux pesticides.

Plus d’une cinquantaine d’études ont également révélé des altérations des performances cognitives (capacités du cerveau à traiter les informations) chez les personnes exposées de manière chronique aux pesticides, sans encore établir un lien avec la maladie d’Alzheimer, pour laquelle les troubles cognitifs peuvent représenter des symptômes précurseurs.

Enfin certaines altérations respiratoires chroniques ont amené l’Inserm à conclure à un niveau de présomption fort entre l’exposition aux pesticides et le risque de développer une bronchopneumopathie chronique obstructive, une grave maladie inflammatoire des bronches.

Des données de plus en plus fiables

En France, depuis le milieu des années 2000, la cohorte AGRIculture & CANcer (AGRICAN) suit plus de 182 000 affiliés agricoles dans 11 départements français métropolitains, dont près de 70 % d’agriculteurs/éleveurs. Ces participants sont utilisateurs de pesticides pour plus de 70 % des hommes et plus de 20 % des femmes. Ce nombre permet d'établir des conclusions fiables.

AGRICAN a permis d’obtenir des résultats concernant les effets d’expositions professionnelles agricoles – incluant les pesticides – sur les cancers de la prostate, de la vessie, du côlon et du rectum, du système nerveux central, des ovaires ainsi que pour les myélomes multiples ou les sarcomes.

Les personnes ayant travaillé en agriculture peuvent estimer leurs expositions à certains pesticides, en fonction des cultures sur lesquelles elles sont intervenues via un outil épidémiologique (PESTIMAT). .

Il n'y a pas que les agriculteurs

L’impact de l’exposition professionnelle aux pesticides sur la santé humaine est prouvée. Le lien entre cette exposition et d’autres maladies, en particulier respiratoires et endocriniennes se confirme au fil des études. Par ailleurs, si l’agriculture est le secteur professionnel utilisant les plus grandes quantités de pesticides, de nombreux autres secteurs d'activité sont également concernés, mais nettement moins étudiés (espaces verts, industrie du bois, hygiène publique, pompiers, industries agroalimentaires…).

Parce que le secteur agricole est étudié depuis longtemps, on sait que les agriculteurs sont les premières victimes des pesticides. Il est donc étrange - on marche sur la tête - que certains syndicalistes en réclament toujours plus. Les consommateurs en sont aussi les victimes.

Une agriculture saine et de qualité, rémunératrice pour les producteurs est dans l'intérêt de tous. De tous ? Peut être pas pour quelques industries agro-alimentaires ...