L'Agriculture marche sur la tête

édito du 10 février 2024

Après deux semaines et demie de manifestations et de blocages par les agriculteurs et agricultrices en France, c’est l’heure du bilan.

Face à la mobilisation d’un mouvement composite exprimant pourtant la colère de tout un secteur, la réponse politique du gouvernement a été de céder aux revendications de certaines parties, notamment en matière d’écologie : le macronisme, nouvelle variant de la Droite ringarde, ignore l’écologie, tant pis pour nous, nos enfants, la planète et fait semblant de ne pas voir que les rémunérations des exploitants agricoles sont au centre de la colère

L’Agriculture, un secteur en pleine crise

100 000 exploitations agricoles ont disparu en France ces dix dernières années. Population vieillissante, charges de travail trop lourdes, faibles revenus ou encore absence de congés… Entre hausses des charges qui asphyxient les producteurs et normes environnementales sans compensation financière, la situation des exploitants est parfois critique.

Les revenus des agriculteurs reposent surtout sur la PAC

La rémunération des agriculteurs peut se faire en vente directe, via des contrats avec les industriels ou bien au sein d’une coopérative. Pour beaucoup d’agriculteurs, ce n’est pas suffisant car ces revenus compensent à peine les charges de l’exploitation : gasoil, cotisations, assurances…

Par contre ils reçoivent un revenu annuel de la PAC, la Politique Agricole Commune. Conditionnée à la surface de l’exploitation ou encore au type d’agriculture, cette aide a pour but de soutenir le revenu des agriculteurs et de maintenir la vitalité des communautés rurales, c’est souvent le seul revenu réel de l’exploitation.

Une profession sous-payée, mais pas tous

Selon l’Insee en 2021, le revenu annuel brut moyen des ménages agricoles provenant directement de l’agriculture était d’environ 17 700 euros. Rapporté au mois, un agriculteur gagne donc en moyenne 1 475 euros brut par mois, presque 300 euros de moins que le Smic actuel.

Mais la moitié des agriculteurs ont un revenu inférieur à 1 035 euros par mois, avec 70 heures de travail, ce qui correspond à moins de cinq euros de l’heure.

Pire, plus d’un exploitant agricole sur sept a dû faire face à des revenus nuls ou déficitaires en 2021. Sans rentabilité de leur exploitation, les seuls paiements annuels de la PAC ne permettent pas un niveau de vie suffisant. En 2018, 18% des agriculteurs vivent en dessous du seuil de pauvreté.

A l’opposé, les territoires céréaliers de la Beauce et les terroirs viticoles du sud-ouest et de la Champagne affichent un niveau de vie très élevé, qui peut dépasser les 35 000 euros par an (soit parmi les 30 % les plus riches de la population française).

Egalim mal appliquée

Les agriculteurs réclament l'application de la loi Egalim, qui doit garantir un juste prix aux agriculteurs, des compensations financières face à l'augmentation des normes environnementales et à la concurrence internationale. Dans le cadre de la loi Egalim, le coût des matières premières agricoles doit être sanctuarisé, mais les distributeurs négocient durement pour faire baisser les prix, souvent en toute illégalité, une partie des négociations se faisant à l’étranger.

Pesticides et normes environnementales

Sans compensation, la réduction des pesticides Ecophyto 2030 ferait baisser les revenus de l’agriculture productiviste, encore majoritaire dans notre pays. La solution serait des prix d’achat minimum pour le lait, les céréales, les œufs, l’élevage mais ni le gouvernement ni le principal syndicat agricole ne le veulent : c’est contraire à leur credo libéral.

La stratégie écologique de l'Union européenne impacte directement les agriculteurs qui ne veulent pas s’adapter à la transition, notamment parce qu’on ne les aide pas pour le faire. Bien que la France soit la première bénéficiaire de la Politique agricole commune (PAC) avec neuf milliards d'euros d'aides versés par an, certains syndicats contestent avec force un élément central du "Pacte vert" : un projet législatif visant à réduire de moitié d'ici 2030 l'utilisation des produits phytosanitaires chimiques (par rapport à la période 2015-2017).

Dans un contexte de transition climatique, l'empilement de normes environnementales (et l’Europe) est pris comme bouc émissaire. "La pénibilité physique a laissé peu à peu la place à une pénibilité morale qui est due notamment à l'édiction de règles et de normes de plus en plus lourdes à supporter (...) à un moment donné la coupe déborde", selon Etienne Gangneron, président de la chambre d'agriculture du Cher.

Concurrence déloyale

La guerre en Ukraine a perturbé les cours des matières en Europe : le coût de l'énergie a explosé, les coûts des intrants ont augmenté, tout comme ceux de la main d'œuvre ou de l'alimentation animale. La guerre en Ukraine perturbe les flux avec des importations énormes en Europe de céréales, de volaille ou de sucre que l’Ukraine ne peut plus exporter vers les autres continents.

Par ailleurs la négociation de traités de libre-échange (Mercosur ou avec la Nouvelle Zélande) favorise des produits agricoles gonflés aux OGM et aux produits phytosanitaire… Les importations des pays tiers augmentent, sans respecter non normes environnementales.

Un carrefour qu’il faudra bien franchir

Depuis les années 2000, l'agriculture se retrouve à un carrefour : d’un côté, l'industrialisation lui a apporté des rendements importants, de l'autre, la destruction du vivant engendrée par le productivisme agricole, provoque une prise de conscience des consommateurs qui veulent plus de qualité et moins de polluants.

Beaucoup se reconvertissent en bio, mais le bio est à la fois plus contraignant, plus cher et ne rencontre pas toujours son public. En Centre-Val de Loire, les 115 000 hectares consacrés à l'agriculture bio, soit 4,9 % de la surface agricole utile, pourraient bien reculer en 2024 en raison de la baisse de la demande.

À l'inverse, l'agriculture conventionnelle utilise beaucoup d'engrais et de pesticides, dont les risques pour la santé humaine (et en premier lieu, celle des agriculteurs eux-mêmes) sont minorés par le lobby de l'industrie chimique et beaucoup d’agriculteurs (qui pourtant, en privé, les reconnaissent).

Les conséquences sur la biodiversité sont incontestables. Selon un rapport parlementaire publié ce 24 janvier 2024, "la France est devenue le deuxième pays européen le plus utilisateur de pesticides". En parallèle, "la biodiversité s’est effondrée : les populations d’oiseaux ont diminué de 43 %, plus de 40 % des eaux de surface sont affectées par des pollutions diffuses, et les sols sont de plus en plus dégradés."

Vieillissement de la population agricole, disparition des exploitations, conditions de vie matérielles difficiles et suicides : l'existence même de la profession d'agriculteur semble être remise en question. L'installation de jeunes agriculteurs ne compense pas les départs, notamment en raison de la difficulté d'accéder au foncier et à un capital de départ. Le mouvement de colère des agriculteurs a donc les accents désespérés d'un baroud d'honneur.

Conclusion

Pour l’instant, à court terme, les perdants de cette jacquerie paysanne sont les petits paysans, les vertueux c'est-à-dire les bio, et les consommateurs déjà trop gavés de produits chimiques. Les gagnants sont les tenants de l'agro-industrie et les « syndicalistes majoritaires » dont les principaux responsables roulent sur l’or.

A long terme cette politique de court terme n’est pas viable : cancers, inondations, sécheresses, bataille pour le partage de l’eau, tempêtes et autres dérèglements climatiques... Les Français n’en voudront pas, et déjà n’en veulent plus.

Les solutions existent, notamment en réintégrant les coûts externalisés de l'agriculture productiviste (traitement des eaux polluées, des maladies...) dans les prix d’achat garantis aux agriculteurs : leur intérêt serait alors de diminuer ces charges. Le bio serait automatiquement privilégié, favorisant la conversion des agriculteurs. La santé de tous s'en trouverait améliorée, et on pourrait à nouveau boire l’eau de nos sources. Par ailleurs la souveraineté alimentaire doit se traduire par des refus d'importation des produits qui ne sont pas à nos normes, et que les stocks français ne sont pas épuisés : il faut réguler l'agriculture car ce n'est pas un produit banal.

La politique agricole, co-gérée depuis 60 ans par le principal syndicat du secteur, marche sur la tête. C’est aussi de la responsabilité des agriculteurs de s’en rendre compte et de bâtir un pacte agricole avec la société civile, celle qui au final paye les produits agricoles, et qui veut des produits sains de bonnes qualités.

Dans le cadre du projet Eure&Loir 2036, nous visons que nos territoires soit 100 % sans produit phytosanitaire et autosuffisant pour assurer la sécurité alimentaire des euréliens (maraîchage, élevage…). Et avec des agriculteurs heureux de travailler la terre au profit de tous !