Les ENR sont les plus compétitives des énergies
L’évaluation économique de la mutation vers les ENR, et de l’abandon des énergies polluantes y compris le nucléaire est un sujet majeur pour piloter la transition énergétique.
Les dernières modélisations, publiée dans la revue Energy & Environmental Science, réalisées par le chercheur Mark Jacobson, professeur et directeur du programme Énergie et Atmosphère de l’université de Stanford (Californie, États-Unis), montrent que dans 145 pays, la transition vers une énergie reposant entièrement sur l’éolien, l’hydraulique, le solaire et le stockage serait rentable en six ans, et coûterait même moins cher à terme que de conserver les systèmes énergétiques actuels.
La peur de la mutation vers les ENR
Au fur et à mesure que les énergies renouvelables (ENR) gagnent du terrain dans le mix énergétique mondial notamment par la baisse de leurs coûts d’investissement, des objectifs de plus en plus ambitieux sont fixés pour poursuivre leur développement face au dérèglement climatique.
Néanmoins des craintes, portées par les énergéticiens classiques, s’élèvent concernant les coûts engendrés par ce changement radical dans nos systèmes énergétiques.
L’intermittence de l’éolien et du solaire pourrait faire redouter l’insuffisance de l’approvisionnement et d’éventuelles coupures d’électricité.
Ces craintes sont-elles fondées ?
Les ENR et l’emploi
On prétend souvent que l’écologie coûte cher et va forcément détruire l’emploi. Or, c’est faux. Ce qui est vrai, c’est que c’est l’inaction contre le changement climatique qui entraînera une baisse de PIB et de lourdes pertes d’emploi.
Une méthodologie bien éprouvée
Les évaluations du professeur Jacobson et de son équipe ne sont pas nouvelles. Déjà en 2015, cet ingénieur démontrait par a+b que le monde pourrait couvrir l’intégralité de ses besoins énergétiques (y compris le transport et le chauffage) par une savante combinaison 100 % WWS (comprenez Wind Water Sun, soit éolien, hydraulique et solaire).
Sa dernière étude intitulée « Low-cost solutions to global warming, air pollution, and energy insecurity for 145 countries ( Les solutions économiques au réchauffement climatique, à la pollution de l’air et à l’insécurité énergétique pour 145 pays ») met à jour les données sur la consommation énergétique, et prend en compte les incertitudes liées à l’évolution du prix du stockage de l’énergie par batterie, ainsi que le développement de nouvelles technologies, telles que le vehicle-to-grid.
Toutes les technologies renouvelables sont prises en compte dans l’étude, y compris l’énergie houlomotrice et marémotrice, la géothermie, la biomasse, le solaire à concentration, le stockage d’électricité, de chaleur, de froid et d’hydrogène. Les 145 pays ont été regroupés en 24 groupes régionaux qui couvrent 99,7% des émissions mondiales de CO2.
Il utilise un modèle informatique (appelé Loadmatch) qui permet d’équilibrer, pour chaque région, la demande variable d’énergie avec l’offre variable d’énergie, la capacité de stockage, et la couverture des besoins (demand response) toutes les 30 secondes.
Un taux de retour sur investissement de 6 ans
Les investissements nécessaires à cette transition seraient remboursés en 6 ans. Une telle transition coûterait moins cher à terme que de conserver le système énergétique actuel.
« Au niveau mondial, l’association éolien-hydraulique-solaire permet de réduire de 56,4 % l’énergie fournie, de 62,7 % les coûts énergétiques privés annuels (de 17,2 à 6,4 billions d’euros par an), et de 92 % les coûts sociaux (privé + santé + climat) annuels de l’énergie (de 80,5 à 6,4 billions d’euros par an) pour un coût en valeur actuelle totalisant 59,5 billions d’euros » affirme Mark Jacobson.
La raison est simple, l’association éolien-hydraulique-solaire nécessite en effet moins d’énergie, les pertes de chaleur y sont minimes (en comparaison dans une centrale nucléaire plus de 66 % de l’énergie est produite sous forme de chaleur qui se dissipe dans l’atmosphère ou les cours d’eau, cf ci dessous), est moins coûteuse et crée davantage d’emplois que le maintien du système actuel. Moins d’investissement et un meilleur rendement est la clé de cette martingale.
C’est possible d’ici 2035 !
Dans sa dernière publication, il montre que 145 pays pourraient couvrir la totalité de leurs besoins en énergie par l’énergie solaire, éolienne, hydraulique et par le stockage. La feuille de route plaide pour une transition énergétique réalisée à 100 %, idéalement pour 2035, mais pas plus tard que 2050. Le cap de 80 % de cette transition énergétique pourrait déjà être atteint en 2030 quel que soit le scenario, comme le montre le graphique suivant :
Certains secteurs économique seraient mis en difficulté
Les impacts du passage à une économie verte sur la création d’emplois se feront sentir différemment en fonction des secteurs.
Les secteurs fortement émetteurs de CO2 vont connaître des bouleversements profonds. L’extraction minière, l’exploitation des énergies fossiles, l’agriculture intensive, l’aviation et l’automobile, risquent de subir de lourdes pertes d’emplois s’ils ne se réorientent pas rapidement vers des activités plus durables.
Selon Carlos Tavares, PDG du groupe Stellantis (Peugeot...), 5 emplois thermiques deviendront 3 emplois électriques. L’Europe et les États-Unis pourraient donc perdre plus de 400 000 emplois uniquement du fait de l’électrification du parc automobile. En même temps Tesla, qui a des usines aux États-Unis, en Chine et à Berlin, emploie près de 100 000 personnes dans le monde.
Gérer la mutation, le rôle des politiques publiques
Selon l’OIT (Organisation Internationale du Travail), la mise en place de l’Accord de Paris devrait générer une perte totale de 6 millions d’emplois, mais en créer 24 millions au niveau mondial d’ici 2030. En prenant en compte l’économie circulaire et la consommation, l’OIT arrive à un résultat net de 26 millions d’emplois d’ici 2030 dans le monde. Des chiffres voisins de ceux de Mark Jacobson, qui affirme que l’association solaire-éolien-hydraulique-stockage créera davantage d’emplois que le maintien du mix énergétique actuel. Au niveau mondial, Mark Jacobson estime qu’une telle transition créerait 28 millions d’emplois en plus qu’elle n’en détruirait.
Le rôle des politiques publiques pour piloter cette mutation est important pour ne laisser personne au bord du chemin, mais pour la France et la plus part des pays le solde positif d’emploi ouvre la voie vers le plein emploi que promettent les politiques depuis temps d’année sans jamais l’atteindre.
Seuls la Russie, le Canada et certains pays d’Afrique, dont les économies sont fortement dépendantes des énergies fossiles, subiraient des pertes d’emplois nettes, la solidarité internationale doit être mise en place
D’autres équipes arrivent au même résultat
À travers le monde, des dizaines d’équipes universitaires ont démontré la même chose. L’IEA (l’Agence Internationale pour l’Énergie) a étudié la faisabilité de la neutralité carbone et est arrivée à la conclusion que cet objectif est possible dans la grande majorité des pays. En fait, il n’existe aucune étude scientifique sérieuse (hors celles de climato-sceptiques financées par les gros pollueurs) qui démontre, chiffres à l’appui, que le zéro-carbone n’est pas possible.
Des incertitudes politiques demeurent
Néanmoins, si l’étude démontre clairement qu’une transition vers une énergie 100 % renouvelable est possible à la fois sur le plan technique et économique, Mark Jacobson prévient que de nombreuses incertitudes subsistent : « Beaucoup d’autres incertitudes demeurent. L’une des plus importantes concerne l’existence d’une volonté politique suffisante pour mettre en place une transition à un rythme assez rapide, a-t-il déclaré. Toutefois, si la volonté politique est au rendez-vous, passer à une énergie totalement propre et renouvelable à l’échelle mondiale devrait réduire considérablement les besoins énergétiques, les coûts, la mortalité due à la pollution de l’air, le réchauffement climatique ainsi que l’insécurité énergétique, tout en créant des emplois, par comparaison avec le maintien des conditions actuelles ».
La volonté politique est la clé de cette mutation. Les lobbys ont bloqué depuis 50 ans la mutation nécessaire vers une société écologique durable. Le rapport Meadows qui alertait sur l’effondrement possible vers 2040 de notre système date de 1973, ces conclusions sont toujours d’actualités.
Mais le dérèglement climatique s’impose à tous, les lobbys auront du mal à empêcher la transition mais ils peuvent la retarder en s’appuyant sur des politiciens incompétents qui préfèrent l’inaction climatique à la résolution de nos problèmes : ils prônent l’arrêt des ENR, le maintien d’une agriculture prédatrice, le transport routier à outrance, l’accélération du nucléaire (à croire qu’ils ne suivent pas l’actualité ukrainienne) et autres balivernes.
Aux citoyens de prendre conscience et de se mobiliser à tous les niveaux.
Pour lire le rapport( en anglais)
En savoir plus sur les cycles énergétiques pour produire de l'électricité et pourquoi le système de Jacobson est efficace
Pour produire de l'électricité il y a deux méthodes : faire tourner un générateur électrique qui transforme de l'énergie mécanique en énergie électrique ou utiliser des particules énergétiques pour transférer leur énergie en électron.
Transformer de l'énergie mécanique en énergie électrique
Pour cela il faut produire en premier lieu de l'énergie mécanique qui fera tourner un générateur électrique : un circuit électrique est soumis à une variation de champ magnétique ou balayé par un champ magnétique (par exemple un aimant qui tourne devant une bobine), cela induit une tension alternative. L'énergie mécanique est transformé en énergie électrique. Le mécanisme est connu depuis le XIX° siècle et n'a guère évolué.
Comment produire de l'énergie mécanique ?
Les systèmes les plus utilisés sont la gravitation (l'eau des barrages et des moulins qui gagne de l'énergie en descendant une pente ou une chute), une énergie naturelle comme la force du vent ou de la mer qui fait tourner une pale (éolien, hydrolien) ou une énergie thermique - l'utilisation d'un fluide chauffée et qui transmet son énergie en se refroidissant (générateur diésel, centrale charbon, centrale nucléaire).
Rendement et perte d'énergie
La perte d'énergie pour l'utilisation des énergies gravitationnelle et naturelle est faible.
Par contre pour l'énergie thermique qui nécessite un fluide chauffée (on parle de source chaude et de source froide) les lois de la thermodynamique impose une perte de 50% d'entrée : la moitié de l'énergie est perdu sous forme de chaleur (éventuellement récupérable en partie pour alimenter des réseaux de chaleur pour des installations de faible et moyenne puissance). Un générateur diesel a un rendement proche des 50%, une centrale nucléaire de seulement 33% (c'est à dire que 66% de son énergie est dissipé dans l'air ou l'eau ce qui explique les problèmes de fonctionnement pour les centrales en bord de fleuve, en période de canicule).
On retrouve cette perte d'énergie dans la production d'ENR par biomasse.
Utiliser des particules énergétiques
C'est principalement l'utilisation de l'énergie solaire : les photons (les particules de lumière) transmettent leur énergie aux électrons, un mouvement de charges électriques se produit et un courant se manifeste à l'intérieur de la matière cristalline (en général silicium). C'est l'explication de ce phénomène en 1905 qui a valu à Albert Einstein son prix Nobel (et non sa théorie de la relativité restreinte publiée également en 1905, qui était trop compliquée pour être comprise par le jury !). Le rendement est inférieur à 20% (mais on arrive à 33% dans les laboratoires de recherche) mais il n'y a pas d'émission de chaleur.
Conclusion
La combinaison des ENR solaire, éolien, hydraulique, hydrolien, biomasse permet de fournir une même quantité d'électricité que les systèmes décarbonés en dépensant à minima 50 % d'énergie de production en moins, d'où le coût d'investissement moins élevé et un impact climatique quasiment nul. Il faut bien sûr rajouter en investissement le coût du stockage, c'est pris en compte dans l'étude publiée.