La cour de justice de l’UE a statué contre les «autorisations d’urgence» prises par onze Etats membres pour mettre sur le marché des semences traitées avec des néonicotinoïdes, interdits théoriquement depuis fin 2018.
Jeudi 19 janvier 2023 la cour de justice de l’UE a tranché, les néonicotinoïdes, pesticides responsables de la diminution drastique des abeilles, insectes indispensables pour la biodiversité et la pollinisation, doivent rester interdits de mise sur le marché. Pourtant le 8 décembre 2022, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, espérait une prolongation pour 2023 de la dérogation permettant aux betteraviers d’utiliser ces semences et de tuer en toute impunité les insectes utiles à l’agriculture.
Derrière leur nom un peu barbare, les néonicotinoïdes désignent des insecticides très puissants, utilisés notamment pour prévenir les ravages causés par des espèces telles que le puceron. Ils peuvent être utilisés pour le traitement des semences, qui deviennent alors moins vulnérables aux attaques.
Les travaux scientifiques menés au fil des ans ont permis de prouver que ces produits étaient dangereux pour les insectes pollinisateurs. Les abeilles, en particulier, font partie des espèces qui sont présentées comme les plus vulnérables. C'est pour cette raison que l'UE a décidé d'interdire en son sein l'usage des néonicotinoïdes, l'entrée en vigueur de cette mesure étant fixée au 1er septembre 2018.
Ils n'ont toujours rien compris
Sous la pression du lobby des betteraviers, soutenue par certains syndicats agricoles et des politiciens conservateurs qui n’ont rien compris à la nécessaire transition écologique, la France autorise l’utilisation des néonicotinoïdes depuis 2020. Pourtant, ces produits surnommés «tueurs d’abeilles» ont été interdits par la loi biodiversité de 2016. Les travaux scientifiques s’accumulent et prouvent leur dangerosité pour l’environnement, la biodiversité et la santé humaine. En agissant directement sur le système nerveux des insectes, les néonicotinoïdes sont accusés d’être responsables du déclin des espèces de pollinisateurs.
Leur utilisation est justifiée par la fragilisation de la filière des betteraves sucrières. En 2020, la prolifération de pucerons vecteurs de jaunisse avait entraîné la destruction d’un tiers de la récolte et 280 millions d’euros de perte. L'objectif de cette dérogation était de permettre aux agriculteurs de s'adapter, sans risquer de voir les insectes décimer toute leur production durant quelques années, ce qu’ils n’ont pas fait s’imaginant que leur impunité serait éternelle. Du coup la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) indique qu'elle "s’insurge" de la "brutalité d’une telle décision". Cette dernière est accusée de faire courir le risque "d’entraîner des conséquences désastreuses et irréversibles dans nos territoires ruraux". Même son de cloche au sein de la FNSEA, pour qui l'UE place "20.000 betteraviers et toute une filière devant le risque d'une impasse". Impasse créée par ceux qui ont refusé de s’adapter car des solutions existent et fonctionnent déjà chez de nombreux agriculteurs.
Pollinisateurs et biodiversité : 427 000 décès chaque année dues à la diminution des pollinisateurs
Une étude publiée dans Environmental Health Perspectives (12/2022) a analysée les conséquences de la diminution des pollinisateurs dans le monde. Les trois quarts des cultures agricoles dépendent du transport naturel de pollen par des insectes - abeilles sauvages, guêpes, bourdons, syrphes, papillons, etc. - ou par d'autres animaux tels que les chauves-souris. Le déclin à la fois de l'abondance et de la diversité de ces pollinisateurs a d'ores et déjà commencé à faire chuter la productivité de l'agriculture.
Avec cette perte de productivité, le régime alimentaire des populations humaines s'appauvrit progressivement en fruits, en légumes et en noix, tandis qu'il s'enrichit en céréales - dont la plupart sont pollinisées non par des animaux mais par le vent.
Les scientifiques ont analysé des données de productivité et de rendement provenant de plusieurs centaines de fermes en Amérique centrale et du sud, en Afrique, en Asie et en Europe.
Selon les auteurs, la perte des pollinisateurs a provoqué une diminution de la productivité de l'ordre de 3 % (légumes) à 5 % (fruits et noix). D'après leurs calculs, la consommation de ces aliments sains en moindres quantités expliquerait environ 1 % de l'ensemble de la mortalité humaine sur la planète - soit 427 000 décès chaque année.
Les plus affectés d'après l'étude sont les pays dont la richesse est considérée comme intermédiaire - Chine, Inde, Russie et Indonésie - ainsi que les classes pauvres des pays aisés, chez lesquelles le déclin des pollinisateurs vient s'ajouter à d'autres facteurs favorisant les maladies non transmissibles, notamment le tabagisme et le manque d'exercice physique.
Les pays pauvres, sont ceux qui perdent le plus de rendement en fruits, en légumes (- 26 %) et en noix (- 8 %) à cause du déclin des pollinisateurs, détaille l'étude. En revanche, les catégories aisées des pays riches, elles, peuvent toujours se permettre d'acheter des aliments sains même lorsque ces denrées voient leur prix augmenter en raison d'une baisse de production.
Les auteurs considèrent le chiffre d'un demi-million de morts précoces comme une estimation basse, n'ayant considéré ni l'impact du manque de vitamines associés aux régimes pauvres en fruits et légumes, ni les pertes de revenus des agriculteurs.
« L'aspect le plus inquiétant de ce travail est que, puisque les populations d'insectes continuent à décliner, cette perte de rendement des cultures va s'aggraver à l'avenir, alors que la population humaine va continuer à croître pour atteindre au moins 10 milliards d'habitants. Les problèmes décrits ici vont probablement s'aggraver au fur et à mesure que le 21e siècle avance", prévoit un des auteurs de l’étude.
L’étude établit le fait que la perte des pollinisateurs a déjà un impact sur la santé. Et ce, à une échelle comparable à celle d'autres facteurs de risque au niveau mondial, comme le cancer de la prostate ou les troubles liés à la consommation de drogue.
Si les auteurs reconnaissent l'existence d'un "défi immense", ils soulignent néanmoins que tout n'est pas perdu, en citant d'autres travaux démontrant l'efficacité de plusieurs méthodes contre le déclin des pollinisateurs. Par exemple, la réduction des pesticides - en particulier des insecticides de la famille des néonicotinoïdes - ainsi que la mise en place de bandes et de haies mellifères (plantes attractives et nutritives pour les insectes) dans les champs.